Les Lahu

Ceci est un témoignage de Monsieur Pimook, le directeur de l'école de Ban Huoi Haeng qui accueille dans son établissement des élèves issus des nombreuses minorités ethniques de la région de Pang Mapha, dans la province de Mae Hong Son, dans le Nord-Ouest de la Thaïlande. Il vit dans ces montagnes depuis 1992.

La route des Lahu rouges vers Mae Hong Son

Parmi tous les groupes ethniques présents en Thaïlande, c’est celui des Lahu qui compte le plus grand nombre de sous-groupes. Le professeur Boonchay Srisawat a recensé 23 sous-groupes, l’un d’entre eux étant les Lahu Kulao.

Lahu est le nom par lequel ils se désignent eux-mêmes. Le livre « Festivals in the Mysterious Land of Yanan » y fait référence comme une « tribu qui mange la viande de tigre rôtie ». J’ai en fait constaté que les Lahu qui vivent dans la région de Mae Hong Son ne mangent pas la viande des tigres qu’ils chassent, car ils pensent que cette viande est impropre à la consommation et obnoxious.

Les thaïlandais appellent les Lahu « Mu-Soeu », un nom composé du terme « Mu » (prononcer mou), qui veut dire insignifiant ou négligeable dans la langue des montagnards, et du terme « Soeu », qui désigne la joie ou le bonheur. Ainsi, le nom « Mu-Soeu » peut être interprété comme la faculté d’être heureux avec peu de chose.

La région ouest de la Thaïlande a été depuis des décennies le théâtre des luttes qui opposent les minorités ethniques à la junte militaire birmane. Les combats sont généralement plus fréquents pendant la saison sèche, de novembre à avril et ils ont un impact direct  sur la vie quotidienne des minorités ethniques qui vivent à proximité de la frontière birmano-thaïlandaise. Certaines d’entre elles ont trouvé refuge dans les provinces frontalières de la Thaïlande telles que Chiang Rai, Chiang Mai, Tak et aussi Mae Hong Son.

Pendant l’été 1993, les combats entre l’armée birmane et les rebelles dirigés par Khun Sa, un groupe très influent dans la région Nord-Ouest de la Thaïlande, a provoqué un exode massif des Shans, Lisus et autres groupes ethniques vers la Thaïlande, notamment dans les districts de Pai et de Pang Mapha de la province de Mae Hong Son.  Les autorités thaïlandaises les ont alors accueillis dans des camps de réfugiés pour, plus tard, les renvoyer dans leur village. Mais certains ont été oubliés et ont choisi de ne pas retourner au Myanmar où ils ne se sentaient plus en sécurité.

J’ai découvert plus tard qu’un groupe de 63 Lahu qui avait été raccompagné par les autorités s’était de nouveau infiltré en Thaïlande par des chemins de montagne le long de la frontière. Ils se sont ensuite séparés en 2 groupes, un premier composé de 6 familles, soit 16 filles/femmes et 25 garçons/hommes, et un deuxième de 2 familles, soit 9 filles/femmes et 13 garçons/hommes, Comme ils semblaient très  bien intégrés dans leurs nouvelles communautés respectives, j’ai tout d’abord cru qu’il s’agissait aussi de Lahu rouges, mais j’ai découvert plus tard que ces groupes étaient en fait composés de 61 Kulao Lahu et de 2 Piti Lahu.

Un jour, en rentrant chez moi, j’ai croisé le chemin d’une vieille femme qui faisait partie de l’un des 2 groupes. Je l’ai saluée en lui demandant « ou vas-tu vieille Lahu rouge ? » (Note du traducteur : le qualificatif « vieille » est ici une marque de respect).  Elle a immédiatement répondu « je ne suis pas une vieille Lahu rouge ». En réalité, elle était une Kulao Lahu. C’est le fait de l’avoir saluée en l’appelant Lahu rouge qui m’a fait découvrir la réalité. J’ai ensuite passé une partie de mon temps libre à rendre visite à ces nouveaux arrivants afin de mieux les connaître.

Mon étude initiale de ce  groupe m’a permis de constater que les Lahu Kulao présentaient quelques différences au niveau de langue, mais aussi au niveau des coutumes par rapport aux Lahu rouges. Les Lahu rouges appellent leur maman « Or-A », alors que les Lahu Kulao disent « A-nae ». Les Lahu rouges ont pour usage d’enterrer leurs morts, sauf dans le cas d’une mort accidentelle, dans quel cas le corps est incinéré. Les Lahu Kulao incinèrent systématiquement les corps des défunts, sauf les jeunes enfants qui sont enterrés. Leurs costumes traditionnels sont eux aussi légèrement différents.

En remontant la route de l’exode suivie par ces personnes, je suis remonté  jusqu’à Piang, au Myanmar, où la majorité d’entre elles a passé son enfance. En 1977, lorsque les autorités birmanes ont commencé à leur imposer des taxes, ils ont rejoint la région de Fang, près de Chiang Rai, sur la frontière birmano-thaïlandaise. Leurs seules ressources provenaient alors de la culture de l’opium et certaines saisons, les campagnes d’éradication menées par les autorités thaïlandaise les privaient de toute source de revenu. Ils ont alors décidé de retourner au Myanmar et, après 6 jours de marche, sont arrivés au village de Kiew Koh, qui se trouvait alors sous le contrôle de Khun Sah.

Leurs enfants ont ici pu fréquenter les écoles construites à l’initiative de Khun Sah et ils ont ainsi appris la langue des Shans. Quatre ans plus tard, Khun Sah a commencé à recruter des jeunes garçons pour les soumettre à un entraînement militaire en prévision d’une attaque de l’armée birmane. En 1993, une rumeur circulait selon laquelle les birmans allaient lancer une attaque de grande envergure contre les troupes de Khun Sah. Les Lahu Kulao ont alors décidé de quitter la zone pour revenir dans la région de Pang Mapha, en Thaïlande. Mais les autorités les ont alors ramenés en Birmanie, et c’est là que s’est formé notre groupe de 63 personnes.

Au début de 1994, 10 enfants Lahu Kulao ont rejoint mon école dans un village Lahu rouge du district de Pang Mapha. Il y avait 5 garçons et 5 filles. Ces enfants étaient très timides et peu expressifs. Ils parlaient rarement avec les autres et avaient l’habitude de rester entre eux. Après quelques années de scolarité, ils ont commencé à se sentir plus confiants et savaient parler le thaïlandais standard, même s’ils faisaient encore quelques fautes de grammaire et de syntaxe. Mais cela n’était pas très important pour quelqu’un qui savait faire preuve d’ouverture d’esprit et accepter les différences culturelles. De plus, l’enseignement du thaïlandais à des enfants dont ce n’était pas langue maternelle est une tâche ardue qui demande beaucoup d’investissement personnel.

Mais je continue à les suivre dans leurs études et espère réussir à en faire des adultes méritants qui sauront se montrer reconnaissant envers leur pays d’accueil et Sa Majesté le Roi de Thaïlande, et ce quel que soit l’endroit où ils vivent.



12/06/2009
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